Le 28 février 2018, Spotify, se positionnant comme la plateforme de streaming musical, dont on peut voir une analogie avec Netflix, plateforme de streaming vidéo, déposait sa requête auprès de la SEC, l’agence en charge, entre autres, des introductions en bourses. Avec une capitalisation boursière potentielle très importante et une structure d’introduction en bourse inhabituelle, Spotify a connu une vif attention de la part du marché.
Spotify : La genèse de l’entreprise
Spotify a été fondé en 2008 en Suède, par Daniel Ek et Martin Lorentzon, comme un service de streaming musical. Le moment était opportun, les utilisateurs étant en train de passés du paiement physique (disques, CD) au paiement numérique et a contribué à un changement important dans l’industrie de la musique, comme l’illustre le graphique ci-dessous :
Il est à noter que non seulement l’évolution vers le streaming a été fulgurante, entrainant de nombreuses pertubations au sein de l’industrie de la musique, avec une chute des revenus totaux de 24 milliards de dollars en 1999 à environ 16 milliards de dollars en 2016. Le chiffre d’affaires a recommencé à augmenter en 2016 et 2017, et il est possible que l’industrie se redécouvre, avec un nouveau modèle numérique. Spotify n’était pas le premier de l’industrie, étant précédé à la fois par Pandora et SoundCloud, mais son succès témoigne de la faculté d’inventer une offre lisible à l’utilisateur, alors que les deux autres plateformes peinent à développer un business-model rentable et à conquérir des parts de marché.
Le modèle économique de Spotify est simple. Les auditeurs peuvent s’abonner à une version gratuite, avec des fonctions de personnalisation limitées (playlists, stations, etc.) et des annonces en ligne. Alternativement, ils peuvent s’abonner à une version premium du service, en payant des frais mensuels, en échange d’une pléthore d’options de personnalisation, et sans publicité. Le service standard de l’entreprise coûte 9,99 $/mois aux États-Unis en 2018, avec une adhésion familiale, où jusqu’à six membres de la famille vivant à la même adresse peuvent partager un service familial pour 14,99 $/mois, tout en préservant les listes de lecture et stations individuelles. Les prix varient à l’échelle mondiale, allant d’un maximum de 16,94 $ au Royaume-Uni (pour le service standard) à des prix beaucoup plus bas en Europe de l’Est et en Amérique latine. Spotify paie pour son contenu musical, en fonction de la fréquence à laquelle une chanson est diffusée en streaming, mais les tarifs varient selon qu’il s’agit d’un service gratuit ou payant et selon l’endroit dans le monde, ce qui crée une certaine complexité dans son mode de calcul. Pour obtenir un bilan de la situation actuelle de Spotify et de la manière dont l’entreprise est arrivée là, j’ai regardé le prospectus, avec l’intention de saisir les grandes lignes des tendances. J’ai trouvé ce qui suit :
1. Une entreprise ne dégageant pas de bénéfices :
En effet, Spotify sur les années 2015, 2016 et 2017 accuse des résultats avant impôts de -230, -535 et 1,235 millions respectivement. Néanmoins, après réintégration des différentes dépenses ne générant pas in fine de sortie d’argent, telles que les amortissements et dépréciations, Spotify dispose d’un Free Cash Flow to Firm (argent étant à la disposition de l’entreprise pour le développement de son activité) positif sur les années 2017 et 2016, ainsi que d’une trésorerie positive via ses opérations de financement.
2. Une croissance explosive :
Spotify sort d’une période de croissance exponentielle, surtout depuis 2015, tant en nombre d’utilisateurs qu’en chiffre d’affaires, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous. Le chiffre d’affaires est passé de 1,94 milliard d’euros à 4,09 milliards d’euros, reflétant à la fois une augmentation du nombre d’abonnés de 91 millions à 159 millions et un changement dans la composition, les membres premium passant d’environ 31% du total des abonnés en 2015 à 45% en 2017.
3. Les revenus d’abonnement dominent les revenus publicitaires :
L’accent mis par Spotify sur l’amélioration de ses abonnements premium s’explique plus facilement en examinant la répartition des revenus chaque année, où les revenus d’abonnement ont représenté 90% des revenus chaque année entre 2015 et 2017. La seule note discordante est que le revenu moyen par abonné premium a baissé sur la même période de 7,06 euros/mois à 5,24 euros/mois, un changement que l’entreprise attribue à l’appartenance familiale, une tendance pouvant à l’avenir diminué les revenus destinés aux actionnaires, également appelé dividendes. En effet, ceux-ci sont déterminés d’après les bénéfices engrangés par la firme.
4. Les coûts du contenu diminuent :
Bien que Spotify insiste sur le fait qu’il ne réduit pas les paiements aux labels de musique et aux artistes, la société a réussi à réduire ses coûts de contenu en pourcentage du chiffre d’affaires chaque année de 88,7% en 2015 à 79,2% en 2017. En fait, Spotify a fait savoir aux investisseurs que son intention est d’obtenir des marges brutes de 30%-35%, ce qui implique qu’elle voit les coûts de contenu chuter à 65%-70% du chiffre d’affaires. Il existe une tension inhérente entre le fait que Spotify doit convaincre les marchés financiers et le discours que tient la firme tient à l’industrie musicale et cette tension ne fera que s’intensifier, maintenant que l’entreprise est cotée en bourse.
5. D’autres coûts sont à la hausse :
Il y a trois autres catégories de coûts chez Spotify – R & D, Ventes & Marketing et les coûts d’exploitation. S’il y a des économies d’échelle, comme on peut s’y attendre dans la plupart des entreprises, elles ne se manifestent pas encore dans les chiffres. D’autant plus que le chiffre d’affaire de 2016 à 2017 n’a augmenté que de 38% , alors que celui des dépenses d’exploitation de 63.6%, laissant présupposer un dépassement du chiffre d’affaire si cette tendance reste constante. Néanmoins, une fois que l’entreprise aura fini son cycle de développement intensif, les dépenses d’exploitation, notamment celle de la R & D, qui connait le pourcentage d’augmentation le plus important parmi les dépenses (pratiquement 200%), devrait se stabiliser à terme. Source : Prospectus Spotify
À ce stade de son histoire, spotify est une société en pleine croissance avec beaucoup de potentiel mais beaucoup de points difficiles à résoudre. on peut émettre, d’après les études sur le marché actuellement, quelques hypothèses sur le future de spotifY :
1. Poursuite (mais ralentissement) de la croissance des revenus :
Le succès de Spotify a poussé au cours des trois dernières années d’autres acteurs du marché à s’engouffrer dans le secteur qu’était le streaming musical, ce qui ouvre la voie à un ralentissement de la croissance à l’avenir, la concurrence d’Apple Music (soutenue par la trésorerie très importante d’Apple) contribuant à cette tendance. La combinaison de l’augmentation du nombre d’abonnés et d’une stabilisation, voire d’une légère augmentation du nombre d’abonnements par membre, se traduira par une croissance des revenus de 25 % par an au cours des cinq prochaines années, qui se réduira à une croissance beaucoup plus faible dans les années suivantes.
2. Avec des coûts de contenu réduits :
Toute la proposition de valeur de Spotify repose sur l’amélioration des marges opérationnelles et une grande partie de l’amélioration doit provenir de la poursuite de la réduction des coûts de contenu en pourcentage des revenus. Puisque Spotify paie son contenu sur la base des flux de chansons, ces économies doivent être réalisées en payant moins cher par flux (ce qui va et devrait créer un refoulement des labels et des artistes) ou en trouvant des moyens de réaliser des économies d’échelle sur cet élément de coût. Pour sa défense, Spotify peut s’appuyer sur ses résultats obtenus entre 2015 et 2017 en matière de réduction des coûts de contenu. On peut supposer qu’à terme, ils ont les capacités de réduire les coûts de contenu à 70 % des revenus, tout en trouvant un moyen de rendre les artistes et les labels heureux. Ce ne sera pas un équilibre facile à maintenir, surtout avec les meilleurs artistes, mis en évidence par les décisions de Taylor Swift et Jay-Z de retirer leur musique de Spotify. (Ils seraient apparement revenue sur leurs décisions, mais cela illustre le combat en cours).
3. Avec des investissements en capital limités :
Le modèle économique de Spotify est conçu pour l’évolutivité, avec peu de besoin de réinvestissement de capital, à l’exception de la R & D. Par conséquent, on peut présume que les petits investissements peuvent générer d’importants revenus, en utilisant un ratio ventes/capital de 4,00 (ce qui la situe au 90e percentile des entreprises mondiales) pour estimer le réinvestissement.
4. Risque opérationnel gérable mais risque de défaillance significatif :
Le modèle de Spotify basé sur l’abonnement et le faible taux de rotation des abonnés confèrent une certaine stabilité aux revenus, bien que l’ajout de nouveaux abonnés et la poursuite de la croissance soit une proposition plus risquée. Globalement, la prise en compte de leur mix d’activités (90 % de divertissement, 10 % de publicité) et de leur mix de revenus global permet d’obtenir un coût de revient du capital de 9,24 %, au 80e percentile des sociétés mondiales : la société prévoit de convertir une grande partie de sa dette en capitaux propres au moment de l’introduction en bourse, ce qui lui donne une structure financière dominée par les capitaux propres. Cependant, l’entreprise est encore jeune, perdant de l’argent et faisant face à une forte concurrence, ce qui laisse la possibilité à un échec.
À travers cette analyse, nous avons pu constaté de la situation économique et financière de Spotify. Comme mentionné plus haut, l’entreprise a fait son entrée sur la Bourse de New York le 3 Avril 2018, qui a été valorisé 29.5 milliards de dollars, à 169.50 dollars l’action.
Il est à noter que Spotify n’a pas vu de flux financiers importants rentrés sur ses comptes. En effet, son « IPO » consistait en la mise en vente des actions précédemment détenus par des investisseurs privés, des employés de l’entreprise ainsi que les parts restantes de l’entreprise. Aucune nouvelle action n’a été émise.
La sortie de ses résultats financiers pour le 3ème trimestre 2018 montre que Spotify continue d’avoir des résultats avants impôts négatifs, dut à des dépenses toujours aussi élevées. Ses actions s’échangent désormais autours de 160$ par action, montrant que la confiance des investisseurs ne s’est pas (encore ?) érodée.
Selon des sources de Recode, le service de streaming a pour projet à long terme de directement traiter avec les artistes et les labels afin que ceux-ci distribue directement leur musique, sans passer par l’intermédiaire des gros distributeurs. C’est sur cette capacité à réduire ses coûts que Spotify doit , entre autres, jouer, pour, à termes, générer des bénéfices et continue à susciter de l’intérêt pour les investisseurs.
Julien Bouix
Etudiant de l’EDHEC Business School et membre d’EDHEC Junior Etudes